Épilogue des
100km d’Eupen
Momo sirote tranquillement sa
bière aux côtés de son pote de toujours, Séraphin. Il est aux alentours de midi
alors que les deux compères en sont à leur quatrième pinte ! L’état
pré-comateux qu’ils atteignent ne les aide pas à converser. Ne sortent de leurs
bouches, aux lèvres tuméfiées, que des vapeurs d’alcool…
A
la table voisine, sur cette magnifique terrasse protégée des fréquentes
intempéries pourtant normales pour cette région vert printemps toute l’année,
la famille Braque se marre bien. Bob Dylan, le plus jeune, bave en
engloutissant le McAcq qu’il a entamé quelques secondes plus tôt. Sa jolie
Sylvie de sœur, une trainée… de ketchup enrobé de cette moutarde assez épaisse
pour transporter quelque hachis de cornichon, s’étouffe en l’encourageant,
alors que leur père, Johny, un picon-bière dans le pif, se tape sur les cuisses
tant il est fier de sa progéniture !! Ne cherchez pas la mère ! Elle
est en train de faire des passes dans la caisse pourrave qu’elle a tirée à son abruti
de mec qui l’a, à nouveau, foutue en cloque un soir de partouze interrompue par
une descente de flics avertis par la fumée curieusement aromatisée qui
s’échappait des fenêtres de cette vieille Merço aux amortisseurs habitués à
grincer ainsi, chaque vendredi soir, entre 19 et 21 heures, quand Johny s’en va
en guerre avec ses collègues, alors qu’il en a marre, Braque !! « A la tienne ! Salope » !!!
Voilà ! Le décor est
dressé pour cet émouvant épilogue.
Un beau bruit de moteur vient
polluer et, paradoxalement, entretenir cette distinguée ambiance. Mais, dans un
premier temps, personne ne le perçoit réellement, tant les deux chiards Braque
font marrer leur con de père. Quant aux deux autres, anesthésiés qu’ils sont,
un simple ronronnement, ajouté au doux roucoulement entretenu par les Braque,
ne suffit pas pour leur ouvrir un nouvel horizon. Mais, soudainement le moteur
se tait, et avec lui, les ricanements des gamins, les conneries du père et les onomatopées
des deux autres poivrots. Cette coupure sonore a en fait réveillé tous ces bons
clients. Mais, la suite prend du temps à se dessiner, à s’animer. Des portières
se sont bien ouvertes, mais rien n’a suivi pendant quelques dizaines de
secondes. Momo est accroché à la suite, les lèvres pendantes du poids de l’alcool
ingurgité depuis son réveil matinal accidentel, dû à sa chute depuis le lavabo
sur lequel il avait passé la nuit, cramponné au robinet, mais celui-ci lui a
pété dans les doigts !!! Séraphin allonge difficilement le cou de cinq
bons centimètres pour mieux apprécier la scène. Et les secondes passent sans
qu’évolue la situation ! Bob Dylan va pour pousser la chansonnette quand la
Sylvie jolie, de sa petite mais déjà rocailleuse voix, lui intime l’ordre de la
fermer ! Car, elle, elle a déjà entrevu, de son côté, un pied, nu, un
deuxième pied à son côté comme pour former la paire, puis une cheville,
l’autre, et très lentement les mollets puis les genoux, bardés de bandages…
toute cette chair emballée s’extirper délicatement du Scénic marron glacé. Le
suspens est presque à son comble. Johny,
à son tour, voit se dérouler, par une autre ouverture, le même spectacle
extraordinaire. Il en arrête de boire, avale son énorme gorgée aussi lentement
qu’une troisième paire de jambes, aux extrémités ornées de nombreuses
mignonettes poupées blanches, s’éjecte
du véhicule, à la vitesse supersonique d’un escargot en rut. Et les trois
propriétaires de ces membres délicatement déployés se dévoilent progressivement
jusqu’à se trouver totalement à l’air libre. Et quand il voit le premier se
mouvoir, le tronc incliné à une bonne trentaine de degrés vers l’avant, Momo ne
peut retenir un « Ooohh ! »
d’étonnement. Le second puis le troisième, tout en alternant grimace et large
sourire, avancent chaque jambe très précautionneusement, un peu plus incliné
que leur compère. Séraphin a du mal à retenir ses yeux globuleux qui
s’exorbitent. « Vise
ça ! » lance-t-il à Momo. « Morbleu ! »
répond celui-ci, « c’est quoi, ces
gars-là » ?!
Sébastien, Maxime et Charles
progressent très lentement, vers ce qui leur rappelle un poste de
ravitaillement, dans la douleur. Mais ça les amuse ! Entrecoupés de « Aie !! Ouille !! J’ai mal
partout ! J’ai mal au cul ! ...etc. » les rires de nos trois
visiteurs se rapprochent de la terrasse. Le spectacle est saisissant !
Incapables d’avancer les membres plus rapidement, ces gars semblent avoir
chevauché sans arrêt depuis des jours, et paradoxalement, bien entendu, ils
piaffent… de rire ! Le public en a donc pour son prix. Malheureusement,
cette scène aurait mérité ce que dans le temps on avait coutume d’appeler le
carré blanc ou plus récemment un petit « 12 ans » ! Car les spectateurs
présents ne semblent pas saisir le côté dramatique de cette situation
comique ! Et pour ajouter une touche de couleur, Johny entonne, toutefois
discrètement, un « Court plus vite,
Charly… ». Quant à Momo, délicatement, comme à son habitude, il ne
peut s’empêcher de demander à son pote : ce qu’à son avis « ils pouvaient bien faire dans leur
grande bagnole pour avoir mal au cul comme ça » ?!
Quand, après dix minutes d’un
cheminement douloureux, tout de contorsions et d’arrêts constitué, les trois
nouveaux venus parviennent à poser leur postérieur sur une de ces chaises fixée
au sol, ils entament un langoureux et curieux striptease, tant cette épreuve
leur a parue éprouvante et calorifique. Aux yeux des habitués du lieu et à
juste raison, les membres supérieurs ne paraissent pas en meilleure forme que
les jambes. Pourtant, ils vont de surprise en surprise. Et les mots leur manquent
définitivement lorsqu’ils découvrent trois marcels verts fluo laissant déborder
des montagnes de muscles !!
En attendant leurs trois
chocolats chauds, les trois champions ne tiennent pas en place. Ces corps,
pourtant impeccablement sculptés, sont endoloris à l’extrême. Mais curieusement,
ils continuent à en rire. Et chaque mouvement de pied, ou de toute autre partie
du corps, prend un temps infini. Mais le mal être est tel qu’il faut changer de
pose dès qu’on pense en avoir trouvé une correcte.
Aux deux tables voisines, on
ne peut détacher le regard de ces trois types en pleine représentation
théâtrale. Alors, Johny s’affaisse progressivement sur la table, aidé par ses
coudes, préoccupés par le soutien d’une tête prête à déborder de bonne bibine,
en plein aquaplaning sur le mélange ketchup moutarde. Heureusement pour lui,
les morceaux de cornichon font barrage à l’écroulement pourtant prévisible de
ce bon père de famille qui sait si bien occuper les petits ! Vu la
dernière date inscrite sur les marcels flashis, celle d’aujourd’hui, ils
viennent juste de terminer ce truc incroyable : 100 kilomètres ! « Cent bornes !! »
s’exclame soudainement Momo. « Putain
d’sa race !! 100 !!! » renchérit Séraphin. « Allez, les gars ! Ca
s’arrose !!! Patron ! La tournée géné… géné… rale » !!!
Gêné, lui aussi, Charly, le petit pépère de 53 ans à la barbichette blanche,
décline l’alléchante invitation de cet admirateur : « Non, merci ! On s’est assez fait arroser comme ça,
camarade » !!
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